11 novembre 2007


Je regarde mes mains, témoins les plus implacables du fait que je ne
pourrai jamais revenir en arrière. Je les trouve belles, je me demande
vaguement pour combien de temps encore. Je les passe sous le robinet
comme pour me rassurer, et derrière le flou de l’eau, me donner
l’illusion de mes vingt ans.

Je pense rarement comme aujourd’hui au temps qui passe. Se dépêcher à
tout faire et rester là les bras ballants, découragé par la somme de ce
qui reste. Et pour finir ne rien faire, ou pas grand chose.

Je pense à toi, Jacqueline, ces temps-ci. Tu es souvent dans mes
conversations. Et je répète les mêmes anecdotes, comme pour te faire
vivre encore un peu. L’histoire de la toile affreuse que tu avais
achetée pour faire plaisir à une amie, et que tu me demandes de
retourner, ciel vers le sol, champs vers le plafond, histoire de
changer un peu, et qui ne bougera plus jusqu’à ta mort, puis celle de
tes projets de jouer Mélisande à quatre-vingt-un an, sur un cheval de
bois… Je me dis que je voudrais avoir vécu comme toi, au-dessus de mes
moyens physiques, jusqu’au bout. Et ne se rendre compte de rien, même à
la dernière minute.

Mon amoureux s'approche de moi et voudrait que je ferme les yeux. Il me
redemande en mariage comme pour me dire que c’est moi qu’il aime,
qu’importent tous les autres. Il me passe au doigt une bague bricolée
dans le coton et l’aluminium. On éclate de rire. Il dit que maintenant,
on est vraiment fiancés.

Je plie en deux un mot gentil qu'il m'a laissé il y a quelques jours
sur la table de la cuisine. Je le mets dans la boîte de Paris, à côté
de mon lit, avec d'autres signes de lui. Je me dis que c'est con. Que
je ne devrais rien garder. Rien du tout. Effacer le passé très vite.
Effacer, avancer, effacer, avancer... Je ne sais pas. Je pense à une
autre boîte, avec d'autres signes, d'un autre garçon, là-bas dans le
grenier où j'ai entreposé le contenu de ma petite maison. Il ne
faudrait rien garder, juste pour ne pas avoir à mettre au grenier. Je
regarde une nouvelle fois la boîte en fer. Je voudrais la lancer loin,
de l'autre côté du parc où elle s'ouvrira et où tous les mots se
délaveront sous la pluie.

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