8 décembre 2008

J’ai repensé à tes pages il n’y a pas longtemps. Enfin, à lui, je veux dire. L. J’ai pas senti le truc venir. Les larmes. Pas des larmes de chagrin, ni des larmes tout court, juste les yeux prêts à déborder et le cœur chaud. J’ai revu notre histoire, et je m’y suis tenu tout au bord, pas longtemps, juste le temps du vertige. J’ai dansé près de lui au concert de l’Irlandaise aux chapeaux ronds et plats. Il criait très fort, et comme autrefois, ça m’a insupporté, ses cris de groupie hystérique, et en même temps, je le regardais du coin de l’œil, là, à quelques mètres de l’endroit où j’ai touché sa bouche en tremblant, le 6 décembre 1996. Je me suis dit putain douze ans. Douze ans. Comme ça, je me les suis pris d’un coup.

Un jour, avant tout ça, j’ai vu un magnifique garçon dans un bar cosy, près des galeries Saint-Hubert. Un truc en sous-sol. Une avant soirée le cul au fond de gros coussins rouges en velours, une espèce de défilé des plus beaux spécimens qui hanteraient les boîtes de nuit quelques heures plus tard. Il est entré, accompagné d’une longue fille un peu vulgaire. Il était très mince, comme j’aime, puis grand, et blond platine. Un visage incroyablement lumineux, des dents magnifiques, un nez parfait, des fripes colorées et un vrai sourire. Un joli monsieur de manga gentil, pantalon serré et jolie bosse prometteuse entre les jambes. Il a traversé le bar et je me souviens m’être dit que je l’aurais. Quelques heures plus tard, il avait choisi la même boîte que moi. Je me rappelle m’être approché et lui avoir demandé, comme je l’avais déjà fait avec plusieurs jolis garçons à l’époque : « Je peux t’embrasser ? » Pour toute réponse, il m’a souri et fait un vrai baiser d’amoureux, long et très doux, comme s’il n’avait jamais connu que moi, au milieu de la piste. C’est le seul baiser qu’on se sera fait. On est devenus amis, on avait vingt ans, on se maquillait vaguement, on dansait dans son appart sur des chansons sucrées, on s’endormait en riant dans le même lit, on se badigeonnait d’Issey Myake et on allait promener nos petits culs dans les boîtes un peu glauques, en se lançant des sourires entendus. J’avais parfois envie de lui. A ce propos, j’ai un souvenir extrêmement précis : on arrivait en tram à Louise, il était assis en face de moi et portait un pantalon de jogging. Je me souviens très précisément de son éclat de rire innocent et de la phrase qu’il m’a dite en me montrant sa queue qu’on voyait grossir à travers son pantalon : « Merde, C., je bande ! » Je crois que c’est une des seules fois dans ma vie où j’ai dû puiser dans toutes mes ressources d’homme vaguement civilisé pour ne pas le bouffer des pieds à la tête, là au milieu du tram 94. On n’a jamais couché ensemble. Puis on s’est perdu de vue. Hier, c’est-à-dire dix ans plus tard, je l’ai recherché sur Facebook. Il se souvient de moi et m’appelle par le surnom qu’il me donnait à l’époque, comme si c’était hier. Puis je regarde ses photos. Ce n’est plus lui. Il a pris vingt kilos. Ces yeux sont cernés, son visage est bouffi. Il lui reste ses jolies dents, son sourire, et d’un coup, je me suis pris une claque en pleine figure.

Il est 23h21, je suis au fond de mon lit et je ne sais pas pourquoi je t’écris. Je n’ai plus le temps. Je ne prends plus le temps, plutôt.

Je suis un imposteur. Je me dis ça souvent, ces temps. J’ai l’impression d’être vaguement professeur, vaguement musicien (l’autre jour, j’ai assisté impuissant à la répé de notre groupe sans comprendre un traître de mot de ce qui se passait, me contentant de jouer ce qu’on me disait qu’il serait bien que je joue), vaguement tout… Les gens louent mes qualités d’accordéoniste, me remercient de je-ne-sais-quoi et moi, j’ai l’impression de les berner, de leur jeter de la poudre aux yeux. J’ai l’impression parfois d’être un piètre tripatouilleur, assez malin pour s’entourer de musiciens incroyables, au talent musical énorme, mais qui n’ont pas mon bagout sur scène, ce qui fait que les gens ont l’impression que j’y suis pour quelque chose alors qu’en fait, je ne maîtrise rien. Je voudrais tant pouvoir fermer ma gueule et enfin jouer vraiment.

Je ne te parlerai pas de mon amoureux ce soir. J’en veux au temps qui nous empêche de nous voir comme on le voudrait. Il n’en peut plus, pleure dans mes bras hier, je fais le dur et en même temps, je ne vois pas comment ça pourrait aller mieux.

J’écoute l’album de Jan Johansson « Jazz pa Svenska ». Comme toujours, je rêve de nord.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Merci... Juste pour ces quelques lignes. C'est vraiment bon de te lire...

Et continue, surtout, à ne rien maîtriser sur scène. Ca te donne juste l'aura et le charisme des plus grands...
(Et ne pense surtout pas que je crois à cette non-maîtrise, hein! C'est juste pour te faire plaisir...)

Je t'embrasse très très fort et à bientôt. Vite.